L'origine des croisades
Ce document est en ligne dans le site www.inter-zone.org/ depuis 2001: voir l'enregistrement de la page enregistrée dans Internet Archives Wayback Machine datée de janvier 2002. Si vous utilisez ce texte, merci de citer vos sources.I. Aubert-Baudron |
ART GOTHIQUE - XIV° SIECLE "Prise de Damiette" d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale, fr. 13568 = Cette miniature a été reproduite par la gravure dans le Joinville de M. Nathalis de Wailly. (Didot 1874, p.88). C'est la première fois qu'elle est reproduite en couleur. Mis sur pierre par PRALON, d'après une aquarelle de GARCIA. Tiré de "JOINVILLE" de Henri WALLON |
A l'origine, la première croisade, qui dura de 1096 à 1099, n'avait pas pour but, contrairement à une opinion répandue, d'"aller délivrer le tombeau du Christ tombé aux mains des Arabes", car ceux-ci habitaient à Jérusalem depuis des siècles. La terre sainte était alors un lieu de pèlerinage pour les trois religions du Livre et leurs membres y vivaient en bonne intelligence.
Cette croisade fut déclenchée par l'invasion de Jérusalem par les Turcs, d'origine mongole, qui pillèrent la ville et massacrèrent juifs, chrétiens et musulmans toutes religions confondues et sans faire de quartier. Sur ces entrefaites, les agressés, qui comprenaient les membres des trois religions abrahamiques, firent appel à la chrétienté pour qu'elle les aidât à délivrer la terre sainte non pas des Arabes, mais des Turcs, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Ainsi les chrétiens étaient-ils au départ censés voler au secours non seulement des autres chrétiens, mais également des juifs et des musulmans, la demande d'intervention adressée à la chrétienté ayant émanée des croyants des trois religions agressées, et cette demande étant à l'origine de la croisade. Cependant ce n'est pas ainsi que le pape Urbain II interpréta cette demande d'aide, comme en témoigne le discours qu'il fit à Clermont le 27 Novembre 1095 et qui déclencha la première croisade :
"Bien-aimés frères,
Poussé par les exigences de ce temps, moi, Urbain, portant par la permission de Dieu la tiare pontificale, pontife de toute la terre, suis venu ici vers vous, serviteurs de Dieu, en tant que messager pour vous dévoiler l'ordre divin (...) Il est urgent d'apporter en hâte à vos frères d'Orient l'aide si souvent promise et d'une nécessité pressante. Les Turcs et les Arabes les ont attaqués et se sont avancés dans le territoire de la Romanie jusqu'à cette partie de la Méditerranée que l'on appelle le bras de Saint-Georges, et pénétrant toujours plus avant dans le pays de ces Chrétiens, les ont par sept fois vaincus en bataille, en ont tué et fait captifs un grand nombre, ont détruit les églises et dévasté le royaume. Si vous les laissez à présent sans résister, ils vont étendre leur vague plus largement sur beaucoup de fidèles serviteurs de Dieu.
C'est pourquoi je vous prie et exhorte - et non pas moi, mais le Seigneur vous prie et exhorte comme hérauts du Christ - les pauvres comme les riches, de vous hâter de chasser cette vile engeance des régions habitées par nos frères et d'apporter une aide opportune aux adorateurs du Christ. Je parle à ceux qui sont présents, je le proclamerai aux absents, mais c'est le Christ qui commande (...).
Que ceux qui étaient auparavant habitués à combattre méchamment, en guerre privée, contre les fidèles, se battent contre les infidèles, et mènent à une fin victorieuse la guerre qui aurait dû être commencée depuis longtemps déjà; que ceux qui jusqu'ici ont été brigands deviennent soldats; que ceux qui ont été autrefois mercenaires pour des gages sordides gagnent à présent les récompenses éternelles; que ceux qui se sont épuisés au détriment à la fois de leur corps et de leur âme s'efforcent à présent pour une double récompense. Qu'ajouterai-je ? D'un côté seront les misérables, de l'autre les vrais riches; ici les ennemis de Dieu, là ses amis. Engagez-vous sans tarder; que les guerriers arrangent leurs affaires et réunissent ce qui est nécessaire pour pourvoir à leurs dépenses; quand l'hiver finira et que viendra le printemps, qu'ils s'ébranlent allègrement pour prendre route sous le conduite du Seigneur."("Les Templiers et leurs mystères" Patrick Rivière, Ed. de Vecchi).
En ce qui concerne les envahisseurs, Urbain II en fit la description suivante : "Turcs et Perses, Arabes et Agaréens ont envahi Antioche, Nicée et Jérusalem elle-même qu'ennoblit le tombeau du Christ, ainsi que plusieurs autres villes chrétiennes, et déjà ils ont déployé des forces immenses dans le royaume des Grecs. Maîtres incontestés de la Palestine et de la Syrie qu'ils ont déjà soumises, ils ont détruit les basiliques et immolé les Chrétiens comme des bêtes. Dans les églises où jadis le sacrifice divin était célébré par les fidèles, les païens ont fait des étables pour les animaux..." ("Au coeur du Moyen Age" Carl Grimberg, Ed. Marabout).
Ainsi Urbain II assimila t-il dans son discours les Turcs d'origine mongole, envahisseurs de Jérusalem, avec les Perses, les Arabes et les Agaréens, attribuant à ces derniers les actes des premiers et les taxant de "païens". En outre il considérait Jérusalem comme une ville exclusivement chrétienne, ignorant le fait qu'elle représentait également un lieu saint pour les juifs et les musulmans. De ce fait, le but de la première croisade ne consistait pas à délivrer Jérusalem de ses agresseurs effectifs mais à engager les pays de l'Occident chrétien dans un conflit contre ceux d'Orient.
Pour les pouvoirs d'alors, ce conflit présentait l'avantage d'envoyer se battre hors des frontières les multiples belligérants qui s'affrontaient à l'intérieur car, à l'époque de la féodalité, suzerains et vassaux passaient le plus clair de leur temps à s'entre-tuer, maintenant le pays dans un état de guerre et de misère permanente. Ceux-ci se comportèrent sur la route de Jérusalem comme ils le faisaient chez eux, c'est-à-dire comme des tueurs, des pillards et des soudards, s'appropriant les biens des pays qu'ils traversaient, dans le plus total mépris des principes de la religion dont ils se faisaient les défenseurs. En réalité, les motivations dans cette guerre, sous des apparences religieuses, étaient plus prosaïquement économiques.
Les croisés reprirent à leur compte le termes musulmans de "guerre sainte" et d'"infidèle", tout en leur donnant une acception différente : alors que le terme "infidèle" désigne, pour l'Islam, les non-croyants, le terme "croyant" incluant les musulmans mais aussi les juifs et les chrétiens, il prit en Occident le sens de "non-chrétien", englobant les musulmans; de la même façon, le terme de "guerre sainte", qui désignait pour les musulmans la guerre menée contre des agresseurs non-croyants et ne se justifiait que dans ce cadre, n'ayant pas lieu d'être entre membres des religions du Livre, fut repris par les chrétiens qui s'en servirent pour légitimer la guerre envers toute religion autre que la leur, tout en la présentant comme voulue par Dieu.
L'église, prétextant que les lieux saints étaient le berceau de la chrétienté en faisant abstraction des autres religions du Livre, décréta que ces lieux lui revenaient de plein droit et vit dans la croisade un moyen de se les approprier. Ainsi les musulmans, qui étaient les agressés, durent-ils faire face non seulement aux Turcs, mais également aux chrétiens, alors qu'ils attendaient d'eux l'aide dont ils avaient besoin pour chasser les Mongols.
C'est dans le but de limiter les ravages et de faire la police dans les rangs des croisés que fut fondé l'ordre du Temple, ordre monastique et guerrier, sous l'impulsion de quelques chevaliers et de Bernard de Clairvaux. Les membres de cette nouvelle milice, qui avaient fait voeu de pauvreté et ne possédaient rien en propre, (on les appelait "les pauvres chevaliers du Christ"), étaient chargés de rétablir l'esprit de la chevalerie et de protéger les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem. Leurs motivations à la guerre répondant à des critères d'ordre religieux et éthique et non à des considérations d'intérêt, ils se démarquèrent par leur conduite de bon nombre d'autres croisés, et l'ordre fut bien accueilli par les pèlerins et les habitants des pays qu'ils traversaient.
Quand ils rencontrèrent les ismaéliens dont les conceptions étaient proches des leurs, ils les virent comme d'autres guerriers obéissant au même Dieu et combattant pour lui. Ils s'allièrent à eux sur cette base, renforçant par là même l'alliance entre les peuples du Livre, dans le respect de laquelle aurait dû se dérouler la croisade. En outre ils admiraient la culture de la civilisation islamique, plus étendue que celle de l'Occident dans de nombreux domaines comme l'astrologie, la médecine, la connaissance des auteurs grecs et latins dont les œuvres qui parvenaient en Europe étaient traduites de l'arabe, ou les mathématiques auxquelles l'Occident, qui utilisait encore les chiffres romains, n'avait pas accès. Leur coopération avec les ismaéliens leur ouvrait ainsi une somme de connaissances qu'ils n'auraient pu acquérir sans leur intermédiaire.
Qui était Hassan I Sabbâh ? Nasiroddin Tusi: "La Convocation d'Alamut" : Sommaire
Ismailian source of information on Hassan Sabbah and Alamut
(Chapitres tirés du livre "Département de sémantique générale, de philosophie et d'histoire", à paraître chez "Interzone Editions")
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